Interview d’Albin Jourda – French Cleantech
Peu après le Cleantech Forum 2016 à Lyon, nous avons pu rencontrer Albin Jourda, le fondateur de French Cleantech. Il a accepté de nous livrer son sentiment sur l’industrie des cleantechs en France et en région Rhône-Alpes !
Bonjour Albin Jourda. Pouvez-vous commencer par vous présenter, et nous présenter French Cleantech ?
Bonjour à vous et bonjour à tous vos lecteurs. Je suis donc Albin Jourda, j’ai fondé et dirige French Cleantech depuis 2008. J’ai travaillé une quinzaine d’année dans les fusions-acquisitions et la levée de fonds, en France et aux États-Unis, dans le secteur des biotechs, de l’IT et des cleantechs.
J’ai eu la chance de travailler dans les cleantechs très tôt en 2001. J’étais motivé par ma passion pour l’environnement, et poussé par ce qui était encore un défi il y a quelques années : mêler environnement et finance. C’est donc dans ce but que j’ai créé French Cleantech.
Le projet avait deux volets.
Le premier était de bâtir un portail en ligne qui agirait comme une vitrine technologique pour les meilleures sociétés françaises dans le secteur des cleantechs. Nous avons donc développé un moteur de recherche permettant aux utilisateurs de regarder le profil de plus de 250 sociétés françaises parmi onze secteurs différents. C’est une sorte de best-of des technologies cleantech en France.
Ce portail est disponible en anglais, afin de montrer aux investisseurs étrangers et aux industriels étrangers nos savoir-faire en matière de cleantech. Le portail vit de sponsoring.
Le deuxième volet du projet était plus personnel : structurer mon activité de conseil en levée de fonds. J’accompagne donc des sociétés cleantechs, en France et à l’étranger, dans leurs levées de fonds et leur développement commercial domestique et international.
Comment vous est venue l’idée d’un tel projet ?
À l’époque, c’était vraiment dans la continuité de ce que je faisais : je voyais les tendances technologiques et je me suis aperçu que les cleantechs étaient en train d’émerger, mais que l’industrie n’était pas encore structurée. Je me suis très rapidement connecté au référent du secteur à l’époque, basé aux Etats Unis à savoir le Cleantech Group.
Dès 2008, nous avons débuté un partenariat. De leur côté, ils avaient déjà mis en place une classification et une définition. À l’époque, les médias généralistes parlaient beaucoup des cleantechs sans savoir ce que c’était.
Justement, vous pouvez nous donner votre définition ?
Ma définition est celle du Cleantech Group. Les cleantechs sont l’ensemble des technologies qui permettent d’améliorer l’efficacité d’un process industriel ou d’un service tout en réduisant son impact environnemental.
Le tout autour de onze secteurs : production énergétique, transport, matériaux, eau, déchets, etc.
Sept ans après le début de ce projet, diriez-vous que vous avez atteint vos objectifs ?
Au niveau du portail, l’idée était très avant-gardiste pour l’époque. Beaucoup des groupes que nous avons démarchés pour du sponsoring trouvaient que c’était une bonne idée mais aucun ne se lançait vraiment.
C’est un groupe américain, Autodesk, qui a le premier sauté le pas. En France à l’époque il y avait un attrait pour ce genre de projets mais pas de budget marketing. C’était encore trop tôt. À partir de 2010 ou 2011, la filière a commencé à se structurer, puis on a vu arriver l’émergence de labels comme la French Tech pour le digital.
Sur la partie conseil, il y a eu une accélération et un mûrissement du secteur dans les sept dernières années. Nous avons aujourd’hui beaucoup d’appels entrants, grâce à notre expertise et notre historique dans le secteur: beaucoup de grands groupes sont en conversion dans les cleantechs, et beaucoup de nouvelles technologies émergent. Tous ces gens ont besoin d’aide, les uns pour trouver des technologies, les autres pour trouver des financements.
Les Cleantechs sont en pleine expansion depuis leur création, ou plutôt leur étiquetage. Pensez-vous que c’est un mouvement temporaire ou fait pour durer ?
Mon sentiment est que nous vivons une grande révolution industrielle. La variabilité du prix de l’énergie perturbe les systèmes de production, et nous avons peu de visibilité sur le coût de la ressource.
Nous devons donc nécessairement rationaliser notre usage des ressources, consommer moins et mieux. Nous devons maintenir le niveau de production tout en optimisant les ressources. Je ne vois pas d’autre solution à ce problème que les cleantechs.
A titre d’exemple, on peut citer une société lyonnaise développant un pistolet à haute pression révolutionnaire permettant d’utiliser jusqu’à 80% moins d’eau qu’un Karcher. Ce type de technologie trouve sa place dans un grand nombre d’applications industrielles : nettoyage de lits d’hôpitaux, de chaînes de production, de pièce techniques, voire même pour le nettoyage des clubs de golf.
Mieux encore que d’optimiser la ressource, la technologie permet aussi d’optimiser le temps de travail. Par exemple, dans la restauration collective, on nettoie les cuisines avec de l’eau, puis on la racle. La réduction de consommation permet donc aux employés de passer moins de temps à racler cette eau. On gagne en ressource et en productivité.
A la différence d’une certaine approche de l’écologie proposant une vision pessimiste et punitive, les cleantech offre une approche extrêmement positive permettant d’allier performance et préservation de l’environnement.
L’innovation technologique est au cœur du secteur, et on peut en voir de très beaux exemples. Les relations entre startups innovantes et grands groupes ne peuvent-elles finir que par phagocytage ?
Il y a à mon sens plusieurs tendances.
D’abord, les grands groupes ont un avantage, c’est l’accès à un réseau de distribution que les start-ups ne peuvent pas avoir. Par contre, leur faiblesse réside dans leurs processus de décision, qui sont extrêmement longs. Certains sont en train d’essayer de changer cela par leur demarche d’open-innovation.
On voit aussi le développement d’outils de financement, comme le corporate-venture, pour prendre des participations dans des sociétés innovantes pour à la fois aider au développement et avoir la primeur de la technologie.
La deuxième tendance est incarnée par d’autres innovateurs, (comme le désormais très célèbre Elon Musk), qui envisagent de bousculer les industriels historiques en « disruptant » le modèle de production, de distribution, l’offre de valeur.
L’innovation se fait dans tous les domaines : la technologie, mais aussi la conception, la performance, l’usage, et le modèle de vente. On ne vend plus une voiture électrique de la même manière.
Bien sûr, toutes les startups ne peuvent pas aller jusque-là, Elon Musk avait au départ beaucoup d’argent et des soutiens financiers, mais je crois que les gens voient qu’il existe un autre modèle. Et certaines sociétés émergent très rapidement : BlaBlaCar en est un bon exemple, en terme de service.
Mon sentiment est qu’aujourd’hui, les grands groupes se remettent en cause petit à petit et tendent à se rapprocher des startups ; il y a un mouvement de fond.
Jusqu’à quel point pensez-vous que ces innovateurs (Elon Musk) peuvent s’ériger en alternative ?
Le cas d’Elon Musk est très intéressant. Il a récemment imaginé pour le lancement de son prochain modèle Tesla, une campagne de crowdfunding directement adressée à ses clients. Ce genre d’initiative montre que le crowdfunding tend à se diversifier en finançant des industries plus traditionnelles dont les entreprises se tournaient historiquement vers des moyens de financement plus classiques. Je suis plus dubitatif par rapport au crowdfunding en lui-même, parce que crois que c’est un domaine qu’il faut rationaliser. Au-delà d’être un outil de financement pour l’entreprise, l’utilisation du crowdfunding est également un moyen de communiquer et de faire le « buzz » sur la sortie d’un nouveau produit. Ceci nécessite une très bonne stratégie en amont, ce qui n’est pas à la portée de toute les jeunes sociétés innovantes.
On voit aussi une autre tendance : des entrepreneurs du secteur ayant déjà réussi qui soutiennent de façon privée des startups. L’argent compte, c’est sûr, mais ce type d’entrepreneurs à succès peut aussi apporter les connexions nécessaires au développement d’une jeune société innovante. Ils vont notamment mettre leur carnet d’adresses à disposition et les aider à négocier des contrats de distribution à l’international par exemple.
Lyon a fait le pari des cleantechs depuis plusieurs années, et accueilli le Cleantech Forum au début du mois. Comment vous intégrez-vous dans ce pari ?
J’interviens aujourd’hui en tant qu’expert au sein de l’éco système en facilitant la mise en relation entre les sociétés innovantes, les investisseurs financiers cleantech et les grands groupes. J’interviens aussi auprès des institutions publiques pour donner un regard à la fois technique, financier mais aussi international du fait que French Cleantech est aussi très présent, par ses missions, à l’étranger. J’interviens également au sein du comité de direction de Big Booster, et en tant que partenaire du Cleantech Group, du Global Cleantech Cluster Association basé à Atlanta et d’autres événements cleantech.
En fait, je suis lyonnais d’origine et suis revenu sur Lyon par hasard, vers 2007-2008, à l’époque où Gérard Collomb a commencé à vouloir développer les cleantechs sur Lyon. J’y ai vu une opportunité de rester et de m’implique dans cette dynamique.
Je crois que la ville a eu l’intelligence de faire deux choses. D’abord, mener un programme important de rénovation urbaine : les berges de Saône où les parkings ont laissé place aux espaces verts, la confluence, le projet Vélov, etc. Les vélos redeviennent visibles dans les rues et les gens s’aperçoivent qu’il est possible de se réapproprier l’espace urbain.
La deuxième chose, c’est un soutien important à l’entrepreneuriat : depuis toujours dans le digital et les biotechs, mais aussi dans les cleantechs. Des sociétés innovantes ont émergé, par exemple dans le domaine de la mobilité, des capteurs ou la chimie verte. Tout ça s’est croisé avec le digital et avec les biotechs.
Un bon exemple est la société Amoéba, qui a récupéré un brevet d’une université lyonnaise, dans le domaine des biotechs, et en a fait une application cleantech. C’est probablement une des plus belles success stories lyonnaises : la société a levé 13.2 millions d’euros lors de son introduction en bourse.
Aujourd’hui, nous collectons les fruits de ce travail de soutien de la part de la métropole. Une des grandes forces de Lyon est d’arriver à travailler ensemble. Les gens ont envie de collaborer, et le travail collaboratif est à mon sens un facteur clé de succès dans les cleantechs.
En parlant de Lyon, la ville a accueilli le Cleantech Forum au début du mois d’avril : vous y avez pris part avec plaisir. Pouvez-vous nous dresser votre bilan de l’événement ?
Il est encore un peu tôt pour dresser un bilan complet, mais c’est sûr que c’est une grande étape pour Lyon : cela montre la maturité technologique de la métropole et plus largement de la région.
On oublie par exemple que la région Rhône-Alpes et une des premières places de production énergétique en France. La chimie verte est aussi un atout pour Lyon autour notamment du pôle de compétitivité international AXELERA. Nous avons aussi une avance dans les Smart Cities, il y a une vraie interaction entre le digital et les cleantechs pour optimiser les déplacements urbains. C’est tout cela qui a attiré le Cleantech Forum.
Je crois que les participants ont donc été satisfaits de l’événement, heureux de trouver une ville agréable à vivre, de voir les fruits de la politique d’aménagement urbain. Ils ont aussi été étonnés par la qualité des technologies présentées. La France a montré qu’elle n’avait pas à rougir de ses technologies : nous avons des technologies très pointues, mais aussi à un stade très avancé. Beaucoup de projets sont en étape pré-industrielle.
Ce type d’événement est l’occasion unique de faire découvrir l’écosystème local à des investisseurs et des industriels étrangers.
Quels obstacles voyez-vous à l’expansion de l’industrie dans les années à venir ?
Il y a à mon sens deux choses fondamentales à régler pour accélérer.
D’abord, il faut plus de financement. Il y a des fonds d’investissement dédiés mais la dernière étude de GreenUnivers montre qu’il y a encore beaucoup d’argent dépensé en capital-développement, et qu’une faible part est investi en capital-risque / amorçage. Je crois l’émergence de belles success stories vont faire bouger les choses et à terme rassurer les investisseurs à revenir vers l’amorçage.
Ensuite, la réglementation est un levier important, notamment en France. Par exemple, au Danemark, les cleantechs sont très développées. Lorsqu’une réglementation est actée, elle est mise en oeuvre instantanément. Chez nous, ça prend beaucoup plus de temps, et je pense que nous devons prendre exemple sur l’Europe du Nord.
Enfin, un autre point, plus sensible. Je crois que certains grands groupes, devraient saisir l’opportunité d’une nouvelle source de valeur pour eux au lieu de se recroqueviller et d’adopter une stratégie défensive à l’égard des cleantech. Ils pourraient créer de nouveaux business models et faire de nouvelles propositions de valeur à leurs clients.
Je crois qu’il faut dépasser la vision à court-terme. Lorsque nous serons face à des problèmes de raréfaction des ressources, l’eau par exemple, d’ici une vingtaine d’années, nous aurons de vrais enjeux à régler. Le problème sera le même sur l’énergie ou l’isolation des bâtiments. Soit on subit, soit on anticipe. Je me place dans le camp de ceux qui préfèrent anticiper.
Merci beaucoup Albin Jourda. Un dernier mot peut-être ?
Avec plaisir ! Je voudrais pointer qu’actuellement, les médias généralistes français sont assez négatifs. Je souhaiterai les inviter à regarder ce qui se passe du côté de la technologie et des entrepreneurs. Je côtoie ce milieu au quotidien, et je vois qu’il y a des choses extraordinaires qui émergent, avec beaucoup d’humilité.
Si un peu plus d audience était accordée à ces entrepreneurs et leurs technologies, je crois que cela changerait les mentalités : les gens arrêteraient de faire du french-bashing et de croire que plus rien ne va. Il faut redonner une vision optimiste de l’avenir, et c’est aussi à ça que sert notre portail French Cleantech : Simplifier et démocratiser l’accès à la technologie.
Nous avons besoin en France, je pense, de retrouver une ambition industrielle. Les cleantech peuvent constituer la source de cette nouvelle ambition. Nous en avons les ressources et les capacités. Pour cela, la force d’un projet industriel est important.
C’est la démonstration que Bertrand Picard apporte en Suisse, autour de Solar Impulse qui fédère des grands groupes et des sociétés innovantes. Bertrand Picard utilise cette avion solaire comme une vitrine technologique des cleantech permettant de montrer que la cleantech est une révolution technologique au même titre que la révolution industrielle puis informatique.
Merci beaucoup à Albin Jourda de nous avoir accordé cette interview. Vous pouvez retrouver le portail French Cleantech sur http://www.frenchleantech.com et toutes nos interviews sur notre page dédiée !